LA COMPENSATION DE LA TAXE FONCIÈRE SUR LES PROPRIÉTÉS NON BÂTIES POUR LES LOGEMENTS SOCIAUX : UN SYSTÈME FISCAL COMPLEXE

Terrain de construction pour logements sociaux

INTRODUCTION : UN ENJEU FONDAMENTAL POUR LE DÉVELOPPEMENT DU PARC SOCIAL

La fiscalité immobilière joue un rôle déterminant dans le financement du logement social en France. Pour les bailleurs sociaux comme pour les collectivités territoriales, la question des taxes foncières représente un équilibre délicat entre l’encouragement à la construction de logements abordables et le maintien des ressources financières des communes. Au cœur de ce dispositif se trouvent deux impôts majeurs : la Taxe Foncière sur les Propriétés Bâties (TFPB) et la Taxe Foncière sur les Propriétés Non Bâties (TFPNB). Si les mécanismes d’exonération et de compensation relatifs à la TFPB sont bien documentés et encadrés par la législation, ceux concernant la TFPNB – qui s’applique aux terrains non construits – restent souvent moins connus et plus complexes.

Ce dossier propose une analyse approfondie du système de compensation fiscale mis en place pour les terrains destinés à la construction de logements sociaux, en mettant en lumière les mécanismes qui permettent aux collectivités de ne pas perdre de ressources fiscales tout en encourageant le développement du parc HLM. Cette question revêt une importance capitale à l’heure où la crise du logement s’intensifie et où les objectifs de construction sociale sont revus à la hausse dans de nombreux territoires.

I. LE CADRE FISCAL DES PROPRIÉTÉS FONCIÈRES DES ORGANISMES HLM

A. LA DISTINCTION ENTRE TFPB ET TFPNB

Les organismes de logement social sont soumis, comme tout propriétaire foncier, à deux types d’impôts distincts sur leur patrimoine immobilier : la Taxe Foncière sur les Propriétés Bâties (TFPB) et la Taxe Foncière sur les Propriétés Non Bâties (TFPNB). La première s’applique aux constructions (immeubles d’habitation, locaux commerciaux, etc.) tandis que la seconde concerne les terrains non construits.

La TFPB acquittée par les organismes HLM représente un montant considérable d’environ 2,5 milliards d’euros annuels, soit plus de 10% des loyers perçus. Elle constitue généralement le troisième poste de dépense des bailleurs sociaux, après l’annuité de la dette et les charges de personnel. À titre de comparaison, l’ensemble des taxes sur le foncier bâti représentait environ 35,3 milliards d’euros en 2020, constituant ainsi plus du tiers des recettes des collectivités locales.

Quant à la TFPNB, son poids est beaucoup plus modeste en volume global (environ 1 milliard d’euros au niveau national), mais elle peut représenter une charge significative pour les organismes détenant un parc foncier important destiné à de futures opérations de construction.

B. LE TRAITEMENT FISCAL DES TERRAINS DES BAILLEURS SOCIAUX

Chantier de construction logements sociaux

Pour comprendre le régime fiscal applicable aux terrains des bailleurs sociaux, il est essentiel de distinguer plusieurs situations :

  1. Les terrains nus acquis en vue de construire sont assujettis à la TFPNB jusqu’à l’achèvement de la construction. L’année suivant l’achèvement, le terrain est intégré dans la valeur locative du bien et devient alors soumis à la TFPB.

  2. Les terrains d’assiette des constructions (c’est-à-dire le sol sur lequel est édifié un immeuble) ne sont pas imposables à la TFPNB, mais sont intégrés dans l’assiette de la TFPB.

  3. Les dépendances non bâties de faible étendue (cours, aires de stationnement à ciel ouvert, passages, jardins…) qui font partie intégrante des bâtiments sont également soumises à la TFPB et non à la TFPNB.

  4. Les parcelles non bâties de grande superficie (au-delà de 500 m²) qui ne constituent pas des dépendances directes des logements sont soumises à la TFPNB.

  5. Les terrains issus de démolitions : lorsqu’un bâtiment est démoli par un organisme HLM, le terrain redevient soumis à la TFPNB à partir de l’année suivant l’achèvement de la démolition, sous réserve de la transmission d’une déclaration aux services fiscaux dans les 90 jours suivant la démolition.

Contrairement à la TFPB, qui bénéficie de nombreux dispositifs d’exonération et d’abattement pour les logements sociaux, « les textes ne prévoient aucun régime de faveur en matière de TFPNB pour les organismes HLM ou les logements sociaux », comme le souligne le guide de l’Union sociale pour l’habitat sur la taxe foncière. Cette absence de traitement préférentiel peut représenter un frein à la constitution de réserves foncières pour les opérateurs du logement social.

II. LES MÉCANISMES D’EXONÉRATION ET DE COMPENSATION POUR LA TFPB

A. LE RÉGIME D’EXONÉRATION DE LONGUE DURÉE

Avant d’aborder spécifiquement la question de la TFPNB, il est nécessaire de comprendre les mécanismes d’exonération et de compensation en vigueur pour la TFPB, qui servent souvent de modèle ou de point de référence pour les discussions relatives au traitement de la TFPNB.

Les logements locatifs sociaux bénéficient d’exonérations de TFPB de longue durée, généralement de 15 à 25 ans selon les cas (jusqu’à 30 ans pour certaines opérations). Ces exonérations concernent :

  • Les constructions neuves de logements locatifs sociaux (article 1384 A du CGI)
  • Les acquisitions et acquisitions-améliorations de logements locatifs sociaux (article 1384 C du CGI)
  • Les établissements d’hébergement temporaire ou d’urgence (article 1384 D du CGI)

Ces exonérations représentent un avantage fiscal considérable pour les bailleurs, équivalant à une subvention d’environ 20 000 euros par logement sur la durée totale de l’exonération, ce qui est généralement supérieur aux subventions directes accordées.

B. L’ÉVOLUTION DES MÉCANISMES DE COMPENSATION AUX COLLECTIVITÉS

Document de compensation fiscale

Jusqu’en 2022, la législation prévoyait un mécanisme de compensation par l’État auprès des collectivités concernées par ces exonérations, mais les modalités de calcul aboutissaient dans les faits à un taux réel de compensation généralement très faible. Cette situation a créé des tensions entre bailleurs sociaux et collectivités territoriales, ces dernières percevant l’exonération comme une perte sèche de ressources fiscales.

La loi de finances pour 2022 (article 177) a apporté une modification substantielle au système de compensation. Le nouveau dispositif prévoit une compensation intégrale, pendant les dix premières années d’exonération, de la perte de recettes supportée par les communes, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre et la métropole de Lyon.

Cette compensation s’applique aux logements et locaux ayant fait l’objet, entre le 1er janvier 2021 et le 30 juin 2026, de l’une des décisions suivantes :

  • Décision favorable du représentant de l’État pour l’octroi de subventions et prêts pour le logement social
  • Décision favorable de financement pour les logements sociaux dans les départements d’outre-mer
  • Autorisation de prêt ou décision de subvention de l’ANRU
  • Agrément pour le financement d’opérations de location-accession (PSLA)
  • Financement majoritaire par des subventions au titre de la participation des employeurs à l’effort de construction

Cette réforme de la compensation vise à réconcilier les intérêts des bailleurs sociaux et des collectivités territoriales, ces dernières n’étant plus incitées à freiner le développement du logement social sur leur territoire en raison de considérations fiscales.

III. LE CAS PARTICULIER DE LA TFPNB POUR LES TERRAINS DE LOGEMENTS SOCIAUX

A. UN RÉGIME MOINS FAVORABLE QUE LA TFPB

Contrairement à la TFPB, qui bénéficie de dispositifs d’exonération et de compensation bien établis, la TFPNB ne fait l’objet d’aucun régime préférentiel spécifique pour les organismes HLM ou les terrains destinés à la construction de logements sociaux. Les organismes de logement social sont donc soumis au régime fiscal de droit commun pour leurs terrains non bâtis.

Les seules exonérations de TFPNB prévues par la législation concernent :

  • Les terrains boisés (article 1395 du CGI)
  • Les terres agricoles, à hauteur de 20% jusqu’en 2024, puis 30% à partir de 2025 (article 66 de la loi de finances pour 2025)
  • Les terrains situés en site « Natura 2000 »
  • Dans les départements d’outre-mer, certains terrains situés en zones franches d’activités

Cette absence de traitement préférentiel pour les terrains destinés au logement social peut représenter un obstacle à la constitution de réserves foncières par les organismes HLM, particulièrement dans les zones tendues où les valeurs foncières sont élevées.

B. VERS UNE EXTENSION DU SYSTÈME DE COMPENSATION ?

Face à ce constat, plusieurs voix s’élèvent pour demander une extension du système de compensation mis en place pour la TFPB aux terrains destinés à la construction de logements sociaux. L’argument principal est que la phase de portage foncier, qui peut s’étendre sur plusieurs années entre l’acquisition du terrain et le début effectif de la construction, représente une charge financière importante pour les organismes HLM, d’autant plus que ces terrains ne génèrent pas de revenus pendant cette période.

Une extension du système de compensation pourrait prendre plusieurs formes :

  • Une exonération totale ou partielle de TFPNB pour les terrains identifiés comme destinés à accueillir des opérations de logement social dans un délai déterminé
  • Une compensation aux collectivités territoriales de la perte de recettes résultant de cette exonération, selon des modalités similaires à celles mises en place pour la TFPB
  • Un mécanisme de dégrèvement spécifique pour les organismes HLM, similaire à ceux existant pour les travaux d’économie d’énergie ou d’adaptation aux personnes handicapées

Cependant, cette évolution se heurte à plusieurs obstacles, notamment la difficulté de définir précisément le périmètre des terrains concernés et de garantir leur affectation effective à la construction de logements sociaux dans un délai raisonnable.

IV. LES IMPACTS POUR LES ACTEURS DU LOGEMENT SOCIAL ET LES COLLECTIVITÉS

A. POUR LES BAILLEURS SOCIAUX : UN ENJEU DE MAÎTRISE DES COÛTS

Immeuble HLM moderne

Pour les organismes HLM, la taxation des terrains non bâtis représente un enjeu financier significatif dans le cadre de leur stratégie foncière. En effet, la constitution de réserves foncières est souvent nécessaire pour anticiper le développement futur de leur parc, mais elle génère des coûts de portage importants, parmi lesquels la TFPNB.

Dans un contexte de tensions sur le modèle économique du logement social (baisse des aides à la pierre, réduction de loyer de solidarité, hausse des taux d’intérêt), chaque poste de dépense fait l’objet d’une attention particulière. La charge fiscale liée à la détention de terrains non bâtis peut ainsi conduire certains organismes à limiter leur politique d’acquisition foncière ou à accélérer artificiellement le rythme de construction, au détriment parfois d’une planification optimale de leur développement.

Un traitement fiscal plus favorable des terrains destinés au logement social pourrait donc contribuer à une meilleure maîtrise des coûts pour les bailleurs et, in fine, à une production plus importante et mieux répartie dans le temps de logements abordables.

B. POUR LES COLLECTIVITÉS : UN ÉQUILIBRE À TROUVER

Du point de vue des collectivités territoriales, la taxation des terrains non bâtis représente une ressource fiscale certes modeste mais non négligeable, surtout pour les communes rurales ou périurbaines où ces terrains sont nombreux.

L’instauration d’un régime d’exonération et de compensation pour la TFPNB similaire à celui existant pour la TFPB nécessiterait donc de trouver un équilibre entre l’encouragement à la production de logements sociaux et la préservation des ressources des collectivités. La compensation intégrale mise en place pour la TFPB par la loi de finances 2022 pourrait servir de modèle, à condition que son coût pour les finances publiques soit jugé acceptable.

Par ailleurs, certains acteurs soulignent le risque qu’une exonération trop généreuse de TFPNB pourrait encourager la constitution de réserves foncières excessives par les organismes HLM, conduisant à une forme de rétention foncière préjudiciable à l’objectif d’intensification de la construction.

V. PERSPECTIVES D’ÉVOLUTION ET PROPOSITIONS

A. LES ENSEIGNEMENTS DE LA RÉFORME DE 2022

La réforme de la compensation de la TFPB introduite par l’article 177 de la loi de finances pour 2022 offre plusieurs enseignements qui pourraient inspirer une évolution du traitement de la TFPNB.

Tout d’abord, elle montre qu’une compensation intégrale aux collectivités est possible et peut contribuer à lever les réticences locales au développement du logement social. Ensuite, elle illustre l’importance de délimiter clairement le périmètre d’application (dans ce cas, une période définie du 1er janvier 2021 au 30 juin 2026) pour maîtriser l’impact budgétaire de la mesure. Enfin, elle s’accompagne d’un mécanisme d’évaluation, avec un rapport au Parlement prévu pour septembre 2024.

Une évolution du régime de la TFPNB pourrait s’inspirer de ces principes, en proposant une compensation limitée dans le temps et soumise à évaluation régulière.

B. PROPOSITIONS POUR UNE RÉFORME ÉQUILIBRÉE

Terrain pour construction logements sociaux

Plusieurs pistes de réforme peuvent être envisagées pour améliorer le traitement fiscal des terrains destinés au logement social :

  1. Une exonération conditionnelle : les terrains acquis par des organismes HLM pourraient bénéficier d’une exonération de TFPNB à condition qu’ils soient effectivement affectés à la construction de logements sociaux dans un délai déterminé (par exemple 5 ans). Cette condition permettrait d’éviter la constitution de réserves foncières spéculatives.

  2. Une compensation dégressive : la perte de recettes pour les collectivités pourrait être compensée intégralement pendant les premières années suivant l’acquisition du terrain, puis de manière dégressive, incitant ainsi les organismes HLM à ne pas prolonger inutilement la phase de portage foncier.

  3. Un crédit d’impôt spécifique : plutôt qu’une exonération directe, les organismes HLM pourraient bénéficier d’un crédit d’impôt équivalent à tout ou partie de la TFPNB acquittée pour les terrains destinés au logement social, avec un système de remboursement si le crédit d’impôt excède l’impôt dû.

  4. Un système de décote : les terrains destinés au logement social pourraient faire l’objet d’une décote sur leur valeur locative cadastrale, réduisant ainsi l’assiette de calcul de la TFPNB sans exonération totale.

Quelle que soit la solution retenue, elle devrait s’inscrire dans une réflexion plus large sur le modèle économique du logement social et sur les outils fiscaux susceptibles d’en soutenir le développement.

CONCLUSION : VERS UNE FISCALITÉ PLUS COHÉRENTE AU SERVICE DU LOGEMENT SOCIAL

La fiscalité foncière constitue un levier majeur pour la production de logements sociaux en France. Si le régime d’exonération et de compensation de la TFPB a connu une évolution significative avec la réforme de 2022, le traitement de la TFPNB pour les terrains destinés au logement social reste un angle mort de la politique fiscale.

Une réforme équilibrée, inspirée des principes de la compensation intégrale mise en place pour la TFPB, pourrait contribuer à lever certains obstacles à la constitution de réserves foncières par les organismes HLM, tout en préservant les ressources des collectivités territoriales grâce à un mécanisme de compensation adapté.

À l’heure où la crise du logement s’intensifie et où le rythme de construction de logements sociaux tend à ralentir, tous les leviers disponibles, y compris fiscaux, doivent être mobilisés pour atteindre les objectifs ambitieux fixés par les pouvoirs publics. La question de la TFPNB, bien que technique, mérite donc d’être intégrée à la réflexion globale sur le financement du logement social et ses relations avec les collectivités territoriales.

Dans cette perspective, l’expérience de la compensation de la TFPB pourrait servir de modèle, à condition d’adapter ses modalités aux spécificités du foncier non bâti et de garantir son efficacité tant pour les organismes HLM que pour les collectivités territoriales.

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